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PARIS — “Vous n’aurez pas deux fois l’occasion de faire une bonne impression.” Cette citation, que l’on attribue parfois à Coco Chanel, ira comme un gant à Michel Barnier à l’heure où il prononcera sa déclaration de politique générale.
C’est peu dire que ceux qui s’intéressent aux questions énergétiques scruteront chaque mot prononcé mardi.
Le Premier ministre n’a pour l’instant abordé le sujet qu’à travers deux mots, répétés à l’envi : “dette écologique”. Au ralenti depuis des mois, les filières attendent au mieux des impulsions, au pire d’éviter des amputations.
Si le locataire de Matignon ne cache pas sa fibre pronucléaire, le monde des énergies renouvelables attend de savoir à quelle sauce il va être mangé. Il suffira d’un signe. “Est-ce que Michel Barnier marche sur les deux jambes ou sur une seule, celle du nucléaire ? C’est le big sujet”, pointe un ancien conseiller ministériel ayant suivi ces dossiers.
Alors que la droite est vent debout contre l’éolien terrestre, et que le Premier ministre n’a pas caché son aversion contre les éoliennes en mer, un lobbyiste des renouvelables espère que le chef du gouvernement sera “en mode paix des braves” et n’opposera pas nucléaire et ENR.
Les partisans de l’atome, eux, se disent rassurés à la fois par le profil de Michel Barnier, favorable à la relance de la filière française, et l’existence — du moins sur le papier — d’une majorité pronucléaire à l’Assemblée.
Comme leurs homologues des renouvelables, ils réclament toutefois à l’exécutif une feuille de route actualisée, plus de deux ans et demi après le discours de Belfort du président-candidat Emmanuel Macron, qui souhaitait alors la construction de six nouveaux réacteurs et la réalisation d’études pour huit supplémentaires.
“On espère que le discours de demain confirmera de manière concrète l’avancée de la relance du nucléaire avec une vision qui va au-delà de six EPR et qui inclura le financement”, avance le LR Bernard Accoyer, ex-président de l’Assemblée aujourd’hui à la tête d’un lobby nucléophile, Patrimoine nucléaire et climat.
Les modalités de financement des futurs réacteurs EPR — objet d’intenses discussions entre EDF et l’Etat qui sont censées aboutir en début d’année prochaine — concentrent les inquiétudes du secteur, qui espère des décisions rapides.
“Ce dont les industriels auront besoin, c’est d’avoir un plan”, prévient Myrto Tripathi. La présidente des Voix du nucléaire estime que l’inscription dans les textes de la construction de nouveaux réacteurs doit précéder la discussion sur le financement.
Le gouvernement doit prendre à bras-le-corps la programmation pluriannuelle de l’énergie. C’est sans doute, chez nos interlocuteurs, la demande qui revient le plus souvent.
Il faut “donner de la visibilité aux acteurs”, défend le député macroniste Jean-Luc Fugit, ancien président du Conseil supérieur de l’énergie. Le parlementaire — comme tous ses collègues spécialistes de la question — espère que cela passe par une loi. Les énergéticiens, eux, sont moins catégoriques. Certains s’inquiètent du temps perdu par les débats à l’Assemblée et n’auraient rien contre un décret, même s’ils reconnaissent que ce procédé a moins de robustesse.
Récemment, le Haut conseil pour le climat a rappelé le retard de la France et a, lui aussi, considéré comme indispensable de donner de la “visibilité” aux acteurs. Une visibilité qui ne concerne pas seulement la programmation énergétique, mais aussi d’autres textes en souffrance : un décret sur la décarbonation des usages ou le plan sur l’adaptation au changement climatique (Pnacc). Ce dernier avait déjà été promis par Gabriel Attal dans sa déclaration de politique générale il y a neuf mois.
“Le Pnacc est prêt, il est sur l’étagère du ministre, c’est un gain facile”, rappelle un membre d’une ONG en référence au travail effectué par l’ancien ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.
“Ce sujet doit être sur le dessus de l’agenda”, intime Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. L’ancienne ministre estime que la dernière version de ce plan doit être retravaillée, quitte à être “peut-être très en retard”, mais “robuste”. Elle espère que le gouvernement ne se contentera pas d’un catalogue d’ordres à destination des collectivités locales, et qu’un tel plan se déploiera aussi au niveau européen.
Alors que l’exécutif cherche à renflouer les caisses de l’Etat, une multitude de dispositifs fiscaux en lien avec l’énergie ont été évoqués ces dernières semaines. La transformation de la peu rémunératrice contribution sur les rentes inframarginales (Crim) en une taxe sur la production installée d’électricité, proposée par Bruno Le Maire, fait l’unanimité contre elle dans le secteur.
Les énergéticiens s’étonnent de voir leurs revenus ciblés, alors que ceux-ci ont retrouvé leur niveau d’avant-crise énergétique, et qu’ils font face à d’importants investissements. Les experts relèvent, eux, l’incongruité d’une taxe sur l’électricité à l’heure où l’on cherche à électrifier les usages.
Certains y sont déjà allés de leurs contre-propositions. Comme EDF, qui a suggéré le versement d’un dividende à l’Etat — ce qui a le double avantage de porter sur un montant convenu à l’avance, et qui n’est à verser qu’en cas de l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs.
A Bercy, on assure que rien n’est encore décidé, mais que le discours de Michel Barnier devrait permettre de clarifier qui devra passer à la caisse. “Il sera intéressant de voir comment il va concilier besoin d’investissements dans le secteur et besoin de prendre l’argent du secteur pour les finances publiques”, résume le lobbyiste des renouvelables précité.
A priori, l’efficacité énergétique et l’électrification des usages sont des sujets consensuels, même si le Rassemblement national s’est lancé dans un combat contre l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2035 — et a récemment déposé une proposition de loi réautorisant la location des passoires thermiques.
“J’espère que Michel Barnier confirmera le chemin de décarbonation par l’électrification des usages, et qu’il enverra des signaux positifs sur le soutien à la demande”, nous textote un lobbyiste d’un important énergéticien étranger, évoquant les pompes à chaleur, les véhicules électriques ou encore l’électrification des processus industriels.
Directeur de la stratégie de France renouvelables, Mattias Vandenbulcke espère un accompagnement social “pour une transition des usages juste”.
S’il voulait un peu entrer dans les détails, le Premier ministre pourrait avoir un mot pour le verdissement des flottes de véhicules qui fait l’objet d’une mission flash, récemment relancée. D’ailleurs, Olga Givernet devait en être la corapporteure avec le socialiste Gérard Leseul avant sa nomination comme ministre délégué à l’Energie.
Enfin, s’il évoque la question de la rénovation énergétique des bâtiments, le Premier ministre devra choisir une voie : soutenir l’offre ou cibler le dispositif ?
Les députés EPR — groupe dont est issue Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique — plaidaient pour une remise à plat du dispositif. Les professionnels du bâtiment et les énergéticiens ont appelé, eux, dans une lettre ouverte commune, à abandonner la réforme visant à cibler les rénovations d’ampleur, pour lancer des chantiers à tout va, par petits gestes, et relancer le secteur.
Une fuite en avant, dénoncent les ONG. Alexis Monteil-Gutel, codirecteur du réseau Cler, demande une réorientation des subventions sur la rénovation performante et une sortie progressive des aides aux actions isolées. Il prévient : “La précarité énergétique est galopante, c’est une potentielle bombe sociale à retardement.”